- Remettre l’économie à sa place.
- Les invités.
Futur Antérieur, l’émission radiophonique made in Stroïka, est de retour. Le concept est toujours aussi simple : faire dialoguer l’histoire avec le monde contemporain, pour tâcher d’y repérer, d’un côté, les échos du passé et de l’autre, les idées neuves. Pour ce deuxième épisode, nous recevons l’essayiste et journaliste économique Guillaume Duval et l’historien médiéviste Sylvain Piron. Avec une question lancinante en tête : faut-il remettre la « science » économique à sa place ?
Les économistes ont jusqu’alors, dans leur écrasante majorité, fait preuve d’une remarquable incapacité à correctement anticiper les crises qui agitent régulièrement l’économie mondiale. Cela ne semble pourtant devoir en rien entamer la foi absolue de certains membres de la profession en la scientificité de leur discipline. Ainsi, Pierre Cahuc et André Zylberberg ont-ils pu écrire, dans leur ouvrage polémique Le Négationnisme Économique, la chose suivante :
« Depuis plus de trois décennies, l’économie est devenue une science expérimentale dans le sens plein du terme comme la physique, la biologie, la médecine ou la climatologie »
Traduction : l’économie aurait quitté le champ des sciences humaines pour rejoindre celui des sciences « dures ».
Les économistes qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé – ceux qu’on appelle les orthodoxes – semblent en effet croire dur comme fer en leur capacité à mettre les phénomènes sociaux en équations. Et tous ceux qui leur contestent ce pouvoir seront frappés du sceau infamant de l’idéologie.
« De façon générale, dans le monde entier, les vrais ultra-libéraux, ce sont plutôt les hauts fonctionnaires, qui ne jurent que par le marché mais qui ne le connaissent pas bien et savent pas comment il marche parce qu’ils n’y ont jamais vraiment mis les pieds. »
— Guillaume Duval
Faut-il prendre cette affirmation au sérieux, ou faut-il au contraire y voir la résurgence d’une forme naïve de scientisme qu’on pensait disparue depuis plus d’un siècle ?
Et malgré tous ses raffinements algébriques de surface, et ses velléités de faire tenir le monde social en laboratoire, l’économie n’est-elle pas malgré tout construite sur les soubassements d’une certaine vision de l’Homme, peut-être pas si neutre que ça ?
Cette question pourrait n’intéresser que les férus d’épistémologie, si l’économie se cantonnait à un strict rôle de science descriptive. Il n’en est rien : les économistes ont de l’influence. Et pas qu’un peu. Ils quittent régulièrement l’enceinte de l’Université pour frayer avec les secteur privé, et plus particulièrement avec les institutions financières. Dans le monde entier, les conclusions de leurs travaux tiennent lieu de catéchisme à nombre de dirigeants politiques et de hauts fonctionnaires, au point d’entamer sérieusement le périmètre du choix démocratique.
« L’économie est l’équivalent dans les disciplines contemporaines de ce qu’était la théologie dans l’université médiévale : la discipline reine. Il y a les théologiens – les économistes – et en-dessous, il y a le clergé. Le haut clergé, ce sont les hauts fonctionnaires. »
— Sylvain Piron
Bref : l’économie est devenue une discipline normative, qui ne se contente pas de décrire le monde mais s’efforce d’en produire un qui corresponde à ses cadres de pensée.
Alors, science dure ou religion dévoyée ? L’économie est-elle devenue trop puissante, dans l’ordre de la connaissance d’un côté, dans l’ordre politique de l’autre ? Et comment la remettre à sa place ?
Les invités.
Sylvain Piron est historien médiéviste et directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Dans son ouvrage L’Occupation du Monde (Zones Sensibles, 2018), il expose les racines médiévales de la pensée économique contemporaine.
Guillaume Duval est éditorialiste au magazine Alternatives Economiques. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages au sein desquels il critique le courant dominant en économie, comme Le libéralisme n’a pas d’avenir : Big business, marchés et démocratie (La Découverte, 2003) ou encore Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes (Seuil, 2013).